Gargantua
L'Italie a donné au monde des nourritures essentielles - les pâtes, empruntées à la Chine, la pizza, et des représentations de la nourriture de toutes les tonalités. L'orgie romaine du cinéma - comportement qui cadre mal avec les valeurs des vrais Romains, mais événement cher aux scénaristes - et les nombreuses et sublimes représentations peintes de la Cène, adaptées par le cinéma sont deux pôles antithétiques de l'expérience humaine du repas. L'oscillation entre profane et sacré, la chair et l'âme, exprimée en termes de nourriture, est un des grands paradigmes du cinéma italien.
Commençons par une scène - clef d’il était une fois... la révolution (Giu la testa !, Leone, 1971) : alors que des notables (évêques, bour-geoise, marchand), discourent sur la suprématie de leur caste face aux peones qu'ils jugent dignes d'animaux, en prenant pour exemple le mutisme et la saleté d'un de leurs représentants, l'objectif du réalisateur cadre dans de très gros plans, les bouches des protagonistes en train de se restaurer. Une cerise gobée avec concu¬piscence par la dame du monde, des miettes oubliées autour des lèvres de l'industriel, un relief grasseyant souillant la parole de l'ecclé¬siastique : tous les détails de la mastication, de l'absorption, de la déglutition, nous sont révé¬lés dans leur atroce obscénité.
Bergson ne nous contredira pas : le fait de porter son attention sur le physique, quand on veut vanter des valeurs morales, est géniteur d'un comique, pour le coup subversif. Mais il nous semble y avoir plus ici que cette simple volonté : ce qui est surtout choquant dans ce carrousel de mâchoires occupées c'est qu'il soit l'apanage d'une élite sociale ! La caméra de Leone rétablit la balance : si avaler, c'est, avant tout, éprouver la réalité des choses, mesurer leur substance, nul doute que celle qui se lit ici est celle d'une animalité qui contredit la moindre prétention à la