George Orwell et la contre utopie
La dystopie
La dystopie, ou contre-utopie, est une déclinaison du genre de l’apologue : c’est un récit, généralement court et plaisant, qui s’attache à présenter une société imaginaire dont les membres sont systématiquement et implacablement privés de l’accès au bonheur.
La contre-utopie n’est donc pas le contraire de l’utopie, mais une utopie en sens contraire : elle en récupère fidèlement le schéma général, les thèmes et les lieux communs, pour démontrer que chacun des bienfaits de l’utopie finit par se retourner contre son bénéficiaire, par menacer ce qui constitue proprement son humanité. Elle le prouve toujours de la même manière : en poussant la logique jusqu’à son terme, en imaginant l’utopie enfin achevée, close, parfaite, et en soulignant quelles seraient les conséquences, grotesques ou terribles, de cette "perfection". Par le biais de la caricature, elle démasque donc le double jeu de l’utopie, les cauchemars dissimulés sous les merveilles promises.
La contre-utopie apparaît d’abord au début du 18ème siècle, par opposition à un discours utopique qui tend à se répandre et à se banaliser. On en découvre un premier exemple saisissant dans Les Voyages de Gulliver de Swift (1726), qui comporte au moins deux contre-utopies. Sur l’île de Laputa, la raison et la géométrie règnent en maîtresses despotiques, tout y est subordonné à l’obsession du progrès, mais tout va de travers (maisons en ruines, champs désertés, population misérable) : contre-utopie primaire qui, sur un mode bouffon, rappelle que la raison pure, lorsqu’elle se mêle de régenter le monde, touche à la folie et au ridicule.
Pourtant, malgré le génie de Swift, la contre-utopie demeurera longtemps un phénomène marginal. Ce n’est qu’au tournant du 20ème siècle qu’elle connaît son essor, au moment où l’utopie n’apparaît plus simplement comme un discours, mais comme une réalité en train de se faire et dont on commence à percevoir le double fond (H. G. Wells, Quand