On connaît le Bernanos romancier, apparemment beaucoup moins le polémiste. Mais la parenté est vite établie si on se rappelle avec quelle force notre Picard ferrailla contre cet avatar privilégié du Diable qu'est le mensonge. Mensonge politique, mensonge historique, mensonge des élites, ecclésiastiques y compris, sur ce que fut la guerre d'Espagne. Catholique et monarchiste, Bernanos ne fit jamais mystère de ses convictions et son sang ne fit qu'un tour alors que, son fils s'étant engagé dans la "croisade" franquiste, il découvrit quelles infamies se perpétraient en toute impunité, soutenues par les bonnes consciences universellement confondues des fascismes et des "démocraties" hypocritement réfugiées derrière l'écran de la non-intervention. Traques, exécutions sommaires, tortures, fausseté des bonnes intentions, trahison tranquille des valeurs du christianisme sous couleur d'anti-bolchevisme, toute l'horreur de la guerre civile est montrée, sans complaisance mais sans omission. Stupeur de Bernanos : l'église d'Espagne jusque dans sa hiérarchie épiscopale soutient et absout le massacre de masse, les nonnes elles-mêmes s'y mettent, ajoutant la délation préalable au coup de fusil qui couchera les "Rouges" dans des fosses communes qu'on commence seulement de nos jours à dénombrer. Il fustige et réfute l'argument facile : "mais les Rouges brûlent les églises et tuent les prêtres", par la seule constatation de l'alliance immémoriale entre les puissants, les riches, les exploiteurs et l'église, complices de l’oppression, de toutes les misères, de tous les abus, commis envers le petit peuple d'Espagne. Et quel ton, quelle langue ! Bernanos a débuté sa carrière d'écrivain dans le journalisme et ça se sent dans la vigueur du style, l'ironie au vitriol, le sarcasme définitif, dans une langue fluide comme le discours d'un tribun, aux scansions familières chez lui, dans un long grondement d'indignation non contenue : Caton l'Ancien et Mirabeau n'eussent pas fait mieux !