Gorgias, la structure et les personnages
« Quel genre d’homme faut-il être ? » (p. 219) ; « quel genre de vie faut-il avoir ? » (p. 255). Cette question traverse le Gorgias et lui donne ce caractère engagé, voire poignant, qui fait toute sa force[1]. Platon rappelle constamment que le véritable enjeu du dialogue est le genre de vie qu’on doit mener, et non la rhétorique, qui n’en est qu’une expression. On n’est pas orateur ou philosophe par hasard, on le devient en conséquence d’un choix de vie. L’orateur voue sa vie à la quête du plaisir et de la puissance, le philosophe à celle de la vérité et de la justice. Le dialogue cherche à remonter d’une pratique vers ce qui la conditionne, pour présenter de manière radicale l’opposition entre philosophie et rhétorique. A première vue, on pourrait s’y tromper tant les deux disciplines se ressemblent. La rhétorique est un art qui se sert uniquement de la parole (p. 130) et qui porte, selon Gorgias, sur les plus importantes des choses humaines (p. 133), c'est-à-dire « les questions où il faut savoir ce qui est juste et injuste » (p. 138). Voilà qui la place en concurrence avec la philosophie, qui se sert aussi du seul discours pour étudier ces mêmes questions. Mais cette dernière revendique un véritable « savoir » du juste et de l’injuste, tandis que la rhétorique ne serait que « productrice de conviction », de « croyance » (p. 141). Socrate va critiquer les prétentions de la rhétorique en montrant que son habileté à persuader s’édifie sur un savoir-faire de l’illusion. Gorgias et Polos tentent à plusieurs reprises de valoriser la rhétorique (« le plus beau des arts », p. 124-125) à travers son objet, qui serait « le bien suprême » (p. 134). Socrate ne conteste pas que tel est en effet l’enjeu : le genre de vie qu’on doit mener est la question « qu’un homme, aussi peu de raison ait-il, devrait prendre le plus au sérieux » (p. 255). C’est pourquoi il laisse souvent de côté l’aspect formel de l’opposition entre