Je me suis quelquefois proposé un doute : savoir s’il est mieux d’être gai et content, en imaginant les biens qu’on pos- sède être plus grands et plus estimables qu’ils ne sont, et igno- rant ou ne s’arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d’avoir plus de considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des autres, et qu’on devienne plus triste. Si je pensais que le souverain bien fût la joie, je ne douterais point qu’on ne dût tâcher de se rendre joyeux, à quelque prix que ce pût être, et j’approuverais la brutalité de ceux qui noient leurs déplaisirs dans le vin, ou les étourdissent avec du pétun. Mais je distingue entre le souverain bien, qui consiste en l’exercice de la vertu, ou (ce qui est le même), en la possession de tous les biens, dont l’acquisition dépend de notre libre ar- bitre, et la satisfaction d’esprit qui suit de cette acquisition. C’est pourquoi, voyant que c’est Je me suis quelquefois proposé un doute : savoir s’il est mieux d’être gai et content, en imaginant les biens qu’on pos- sède être plus grands et plus estimables qu’ils ne sont, et igno- rant ou ne s’arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d’avoir plus de considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des autres, et qu’on devienne plus triste. Si je pensais que le souverain bien fût la joie, je ne douterais point qu’on ne dût tâcher de se rendre joyeux, à quelque prix que ce pût être, et j’approuverais la brutalité de ceux qui noient leurs déplaisirs dans le vin, ou les étourdissent avec du pétun. Mais je distingue entre le souverain bien, qui consiste en l’exercice de la vertu, ou (ce qui est le même), en la possession de tous les biens, dont l’acquisition dépend de notre libre ar- bitre, et la satisfaction d’esprit qui suit de cette acquisition. C’est pourquoi, voyant que c’est une plus grande perfection de con- naître la vérité, encore même qu’elle soit à notre désavantage, que l’ignorer, j’avoue qu’il vaut mieux être moins