Guy de Maupassant : l’accouchement de Rosalie, "Une vie"
pieds au feu de sa chambre, pendant que Rosalie, plus changée de
jour en jour, faisait lentement le lit. Soudain elle entendit
derrière elle un douloureux soupir. Sans tourner la tête, elle
demanda :
– Qu’est-ce que tu as donc ?
La bonne, comme toujours, répondit : « Rien, madame », mais
sa voix semblait brisée, expirante.
Jeanne, déjà, songeait à autre chose quand elle remarqua qu’elle
n’entendait plus remuer la jeune fille. Elle appela :
– Rosalie !
Rien ne bougea. Alors, la croyant sortie sans bruit, elle cria
plus fort : « Rosalie ! » et elle allait allonger le bras
pour sonner quand un profond gémissement, poussé tout près d’elle,
la fit se dresser avec un frisson d’angoisse.
La petite servante, livide, les yeux hagards, était assise par
terre, les jambes allongées, le dos appuyé contre le bois du
lit.
Jeanne s’élança :
– Qu’est-ce que tu as, qu’est-ce que tu as ?
L’autre ne dit pas un mot, ne fit pas un geste elle fixait
sur sa maîtresse un regard fou et haletait, comme déchirée par une
effroyable douleur. Puis, soudain, tendant tout son corps, elle
glissa sur le dos, étouffant entre ses dents serrées un cri de
détresse.
Alors sous sa robe collée à ses cuisses ouvertes quelque chose
remua. Et de là partit aussitôt un bruit singulier, un clapotement,
un souffle de gorge étranglée qui suffoque puis soudain ce
fut un long miaulement de chat, une plainte frêle et déjà
douloureuse, le premier appel de souffrance de l’enfant entrant
dans la vie.
Jeanne brusquement comprit, et, la tête égarée, courut à
l’escalier criant :
– Julien, Julien !
Il répondit d’en bas :
– Qu’est-ce que tu veux ?
Elle eut grand-peine à prononcer :
– C’est… c’est Rosalie qui…
Julien s’élança, gravit les marches deux par deux, et, entrant
brusquement dans la chambre, il releva d’un seul coup les vêtements
de la