Hegel et le tribunal du monde
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Le philosophe et l'homme du monde sont en attente. Ils ont les yeux fixés sur le théâtre des événements politiques où le grandiose destin (Schicksal) de l'humanité est, croit-on, en train d'être débattu. N'est-ce pas trahir une indifférence blâmable à l'égard du bien de la société que de ne pas participer à cette conversation universelle? Par son contenu et par ses suites, ce grand procès (Rechtshandel) regarde quiconque revendique le nom d'homme; et par la méthode, il doit intéresser quiconque est animé par une pensée personnelle. Une question, à laquelle jusqu'à présent le droit (Recht) aveugle du plus fort avait seul répondu, est en ce moment, à ce qu'il semble, portée devant le tribunal de la pure raison (Richterstuhle reiner Vernunfi) ; pour peu que l'individu soit capable de se placer au centre de l'univers et de se hausser au niveau de l'espèce humaine, il a le droit de se considérer comme assesseur (Beisitzer) de ce tribunal-de-raison ( Vernunftgerichts), où il est également partie (Partei) comme homme et citoyen- du-monde (Weltburger) ; l'issue le concerne. Ce n'est donc pas seulement son affaire propre qui va se décider dans ce grand procès ; on y prononcera en vertu de lois (Gesetzen) que, parce qu'il est un esprit rationnel (verniinftiger Geist), il est lui-même capable et autorisé de dicterl.
Ce texte n'est pas de Hegel, mais de Schiller. Nous le citons cependant ici parce que, en plus de constituer certainement l'une des principales sources de l'idée formulée par Hegel du «tribunal de l'histoire», il nous renseigne sur les divers aspects de cette comparaison entre la fonction de la « raison dans l'histoire » et celle d'un tribunal. On peut remarquer tout d'abord que Schiller témoigne, comme Hegel
1. Friedrich SCHILLER, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, trad. Robert Leroux, Paris, Aubier- Montaigne, 1943, pp. 74-75.
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Laval théologique et philosophique, 40, 2 (juin 1984)
Michel LAVOIE