Heloise et abelard
"Chères sœurs, de mes fers compagnes innocentes
Sous ces portiques saints colombes gémissantes,
Vous qui ne connaissez que ces faibles vertus
Que la religion donne... et que je n'ai plus ;
Vous qui, dans les langueurs d'un esprit monastique,
Ignorez de l'amour l'empire tyrannique ;
Vous, enfin, qui, n'ayant que Dieu seul pour amant,
Aimez par habitude et non par sentiment,
Que vos cœurs sont heureux, puisqu'ils sont insensibles !
Tous vos jours sont sereins, toutes vos nuits paisibles ;
Le cri des passions n'en trouble point le cours.
Ah ! qu'Héloïse envie et vos nuits et vos jours !"
>>Ces mœurs austères en contraste avec l'amour,augmentent leur force et la tristesse. .
"Dans ces lieux habités par la seule innocence,
Où régne, avec la paix, un éternel silence,
Où les cœurs, asservis à de sévères lois,
Vertueux par devoir, le sont aussi par choix ;
Quelle tempête affreuse, à mon repos fatale,
S' élève dans les sens d' une faible vestale ?
De mes feux, mal éteints, qui ranime l' ardeur ?
Amour, cruel amour, renais-tu dans mon cœur ?
Hélas, je me trompais ! J' aime, je brûle encore !
Ô mon cher et fatal ! ... Abailard ... je t' adore !
Cette lettre, ces traits, à mes yeux si connus,
Je les baise cent fois, cent fois je les ai lus.
De sa bouche amoureuse Héloïse les presse ;
Abailard ! Cher amant ! Mais quelle est ma faiblesse ?
Quel nom, dans ma retraite, osé-je prononcer ?
Ma main l' écrit ! ... hé bien, mes pleurs vont l' effacer !
Dieu terrible, pardonne, Héloïse soupire.
Au plus cher des époux tu lui défends d' écrire,
À tes ordres cruels Héloïse souscrit...
Que dis-je ? Mon cœur dicte... et ma plume obéit.
Prisons, où la vertu, volontaire victime,
Gémit et se repent, quoiqu' exempte de crime,
Où l' homme, de son être, imprudent destructeur,
Ne jette, vers le ciel, que des cris de douleur,
Marbres inanimés, et vous froides reliques,
Que nous ornons de