Hernani de teophile gautier
— Eh ! quoi, dès le premier mot l’orgie en est déjà là ! On casse les vers et on les jette par les fenêtres, dit un classique admirateur de Voltaire avec le sourire indulgent de la sagesse pour la folie.
Il était tolérant d’ailleurs et ne se fût pas opposé à de prudentes innovations, pourvu que la langue fût respectée ; mais de telles négligences au début d’un ouvrage devaient être condamnées chez un poète, quels que fussent ses principes, libéral ou royaliste.
— Mais ce n’est pas une négligence, c’est une beauté, répliquait un romantique de l’atelier de Devéria, fauve comme un cuir de Cordoue et coiffé d’épais cheveux rouges comme ceux d’un Giorgione.
C’est bien à l’escalier
Dérobé.
Ne voyez-vous pas que ce mot dérobé, rejeté et comme suspendu en dehors du vers, peint admirablement l’escalier d’amour et de mystère qui enfonce sa spirale dans la muraille du manoir ! Quelle merveilleuse science architectonique ! quel sentiment de l’art du seizième siècle ! quelle intelligence profonde de toute une civilisation !
L’ingénieux élève de Devéria voyait sans doute trop de choses dans ce rejet, car ses commentaires, développés outre mesure, lui attirèrent des chut et des à la porte, dont l’énergie croissante l’obligea bientôt au silence.
Il serait difficile de décrire, maintenant que les esprits sont habitués à regarder comme des morceaux pour ainsi dire classiques les nouveautés qui semblaient alors de pures barbaries, l’effet que produisaient sur l’auditoire ces vers si singuliers, si mâles, si forts, d’un tour si étrange, d’une allure si cornélienne et si shakspearienne à la fois. Nous allons cependant l’essayer. Il faut d’abord bien se figurer qu’à cette époque, en France, dans la poésie et même aussi dans la prose, l’horreur du mot propre était poussé à un degré inimaginable. Quoi qu’on fasse, on ne peut concevoir cette horreur qu’au point de vue historique, comme certains préjugés dont les motifs ou les