Humanite
L’auteur doit s’efforcer de transcender les contingences de son époque : culture, idéologie, clichés, modes intellectuelles ou artistiques. Il lui faut passer du particulier à l’universel. La vérité humaine est à ce prix. La Bruyère dépasse la convention du portrait à clef, Hugo ne se contente pas de croquer une scène de rue, Prévert ne nous délivre pas une ritournelle à la guimauve facile. Ces trois auteurs sont allés à l’essentiel : l’égoïste est moins celui qui se sert en premier qu’un homme au regard malade. L’égoïste est celui qui ne sait plus voir l’autre.
Tous les trois cherchent à éduquer notre perspicacité en relevant le détail significatif, l’attitude, le geste qui, en d’autres circonstances, seraient passés inaperçus. Par exemple, La Bruyère note que son glouton « occupe lui seul [la place] de deux autres » ; voilà que le goinfre sans crier gare, dès le début, est déjà le dévoreur de l’espace vital d’autrui. Hugo découvre dans le pauvre hère « le spectre de la misère », c’est-à-dire le revenant qui vient réclamer vengeance et justice comme le père d’Hamlet sur les remparts d’Elseneur. Avez-vous remarqué l’humour noir de l’addition chez Prévert ? « Et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon… »
Malgré les accumulations, le véritable écrivain simplifie en opposant, épure, met en perspective. L’auteur des Caractères trace un tableau contrasté du goujat qui peu à peu envahit l’espace, absorbant les biens ou rejetant dans le néant les êtres qui le côtoient. Le tout et le rien sont saisis dans le même mouvement. Hugo pense par antithèse : d’un côté, la souillure, la grisaille, la saleté ; de l’autre, l’éclat, «