Hélène AHRWEILER – Nous et les autres, Actes Sud
Le temps du monde fini qui commence (comme l’écrit P. Valéry) signifie la connaissance de notre monde dans son ensemble, et dans tous ses aspects (condition préalable pour en faire un village planétaire) et par conséquent l’effacement définitif dans mythes tenaces à traves l’histoire sur l’existence des races monstrueuses, mythes qui alimentent jusqu’à m’exaspération la peur de l’autre, de ceux «ailleurs» qui décidément « ne sont pas comme nous. Le beau livre de Katerina Stenore trace les étapes de l’histoire xénophobe à traves notre civilisation et vient de poser encore une fois, en creux, la question du comment se constitue ce «nous» par rapport auquel fonctionnent tous les mécanismes d’exclusion et de racisme. J’avais jadis souligné qu’à travers tous ces aspects historiques, l’identité reste un phénomène unificateur et sécurisant qui tend à éliminer de son champ tout élément perturbateur et se force à devenir, en tant qu’identité du groupe, l’expression d’une culture concrétisée à travers un patrimoine commun, et basée sur des faits-références dont le sens est reconnu par tous ceux qui forment le groupe. Cette culture devient ainsi la norme de vie, sinon de tous, du moins d’une majorité unificatrice et identitairement dominante : elle dicte le modèle d’être et, comme dit Montaigne, «tout ce qui n’est pas de son usage» s’identifie quasi innocemment à la barbarie. Ainsi le « patrimoine culturel » devient quasiment intolérant, et la conscience culturelle de groupe s’érige en barrage pour la compréhension et l’approche de l’autre. Le syndrome de Caïn signale en outre que le fratricide peut se perpétuer dans l’espace de la même culture, ce qui donne une autre dimension à la conscience culturelle personnelle parallèlement et même contradictoirement à celle du groupe. Le « qui suis-je » se différencie de la sorte plus ou moins de ce que « nous sommes » ; ce qui rend l’identité culturelle affaire de chacun et même un