12/11/14

Expression écrite : réinterpretez à votre manière l'incipit d'effroyable jardin

Voilà Papa ! Je suis là, devant le palais de justice de Bordeaux où se déroule le procès de Maurice Papon. Comme je te l'ai promis, je suis habillé avec ton vieux costume de scène, tu sais : celui représentant ce clown triste, cet auguste qu’il n’y a pas si longtemps je détestais et dont je garde aujourd’hui des souvenirs pleins d’ambiguïté.
Je te revois, quand tu me trainais avec maman dans tes représentations dominicales. Et quand j’y pense, mon ventre ne peut s’empêcher de se nouer à nouveau et comme autrefois je sens l’angoisse de voir mon père se ridiculiser remonter le long de ma colonne vertébrale. Mais à cette sensation désagréable se mêle aujourd’hui une fierté empreinte de tendresse pour un homme qui savait dépasser sa pudeur. En effet tu osais transformer l’instituteur respectable et respecté que tu étais au quotidien en un personnage pathétique et niais ; tu savais poser un œil à la fois lucide mais aussi rempli d’amour et d’héroïsme sur un monde que tu réussissais à émouvoir et à distraire par tes pitreries.
Aujourd’hui, Je vais essayer d’être toi. Enfiler cet accoutrement extravagant est à la fois ma façon de te rendre hommage mais aussi de crier un message à la face de la justice qui m’apparait ici comme une sinistre farce, un cirque où les acteurs sont des clowns ayant perdu la mémoire.
Bien sûr je savais que l’ouverture de la porte d’audience me serait refusée dans ces frusques dépenaillées, dépareillées et éclectiques. C’est pourquoi, changé et ayant revêtu un costume de ville passe-partout, j’ai assisté chaque jour aux plaidoiries.
Ta vieille valise posée sur mes genoux me donnait l’énergie nécessaire au spectacle affligent conduisant à un verdict annoncé ; j’étais alors tout comme toi un « matador de cuisine», un « samouraï de fer blanc », digne spectateur impuissant mais stoïque devant l’insoutenable comédie de ce prétoire.