Interet litteraire "voyage au bout de la nuit"
La vision du monde que donne le roman est noire mais sa lecture est enthousiasmante parce qu'on découvre une grande œuvre où une langue nouvelle, un style nouveau sont inventés. Écrit à la première personne, parsemé de points de suspension et noyé sous les constructions grammaticales populaires, “Voyage au bout de la nuit” reprenait le «roman parlé» inauguré par Zola dans “L'assommoir”, où l'auteur se départit de son langage pour donner l'illusion que le récit est écrit dans la langue des personnages. Le «roman parlé» est le fruit d’un travail très concerté qui aboutit à une écriture hybride dont la «vérité» linguistique serait à discuter.
Contrairement à ce que pourrait laisser croire le résumé, le roman n'est pas tant une suite d'événements qu'une suite de phrases, la pensée de Bardamu se déroulant devant nos yeux de manière continuelle, à l’intérieur d’un présent continuel, sans retours en arrière ni bonds en avant, avec, comme résultat, toute l'émotion de la parole en gestation.
On est retenu ligne à ligne par la force continue des invectives, le détail des trouvailles, les réussites d'expression. Elles restent habituellement dans les limites du français écrit surtout quand ce sont des images. Mais l'impact principal est dû à l'emploi du français populaire, que Céline réintroduit dans la littérature par un choix révolutionnaire.
Le français populaire avait été, pendant trois siècles, banni de la littérature française à laquelle Céline s'oppose donc mais qu'il n'ignore évidemment pas car il est cultivé. Des allusions peuvent être détectées :
- la traduction parodique d'une lettre de Montaigne (page 289) lui permet de souligner ce qui les sépare sur le plan linguistique et moral ;
- le détachement moqueur à l'égard des moralistes classiques : « De nos jours, faire le La Bruyère c'est pas commode » (page 397) ;
- l'allusion à Jean-Jacques Rousseau ;
- les allusions à Baudelaire : « La nuit est sortie de dessous les arches » (page 288)