ionesco rhinoceros
Toujours en retard, évidemment ! (Il regarde sa montre-bracelet). Nous avions rendez-vous à onze heures trente. Il est bientôt midi. BERENGER
Excusez-moi. Vous m’attendez depuis longtemps ? JEAN
Non. J’arrive, vous voyez bien. Ils vont s’asseoir à une des tables de la terrasse du café. BERENGER
Alors, je me sens moins coupable, puisque… vous-même… JEAN
Moi, c’est pareil, je n’aime pas attendre, je n’ai pas de temps à perdre. Comme vous ne venez jamais à l’heure, je viens exprès en retard, au moment où je suppose avoir la chance de vous trouver. BERENGER
C’est juste… c’est juste, pourtant… JEAN
Vous ne pouvez affirmer que vous venez à l’heure convenue. BERENGER
Evidemment… je ne pourrais l’affirmer. Jean et Bérenger se sont assis. JEAN
Vous voyez bien.
BERENGER
Qu’est-ce que vous buvez ? JEAN
Vous avez soif, vous, dès le matin ? BERENGER
Il fait tellement chaud, tellement sec. JEAN
Plus on boit, plus on a soif, dit la science populaire… BERENGER
Il ferait moins sec, on aurait moins soif si on pouvait faire venir dans notre ciel des nuages scientifiques. JEAN, examinant Bérenger
Ca ne ferait pas votre affaire. Ce n’est pas d’eau que vous avez soif, mon cher Bérenger… BERENGER
Que voulez-vous dire par là, mon cher Jean ? JEAN
Vous me comprenez très bien. Je parle de l’aridité de votre gosier. C’est une terre insatiable. BERENGER
Votre comparaison, il me semble… JEAN, l’interrompant
Vous êtes dans un triste état, mon ami. BERENGER
Dans un triste état, vous trouvez ? JEAN
Je ne suis pas aveugle. Vous tombez de fatigue, vous avez encore perdu la nuit, vous bâillez, vous êtes mort de sommeil… BERENGER
J’ai un peu mal aux cheveux… JEAN
Vous puez l’alcool ! BERENGER
J’ai un petit peu la