Iphigénie, racine
Jérôme Lecompte
Paris-III Sorbonne nouvelle lecomptejerome@gmail.com Il suffit de consulter sa mémoire pour penser l’interrogation comme l’une des constantes génériques les mieux marquées de la tragédie. Dans une recherche d’expressivité dont elle est un maillon essentiel, elle apparaît sous toutes ses formes sémantiques et rhétoriques, de l’interrogation pragmatique – comme
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1 La question primordiale
Agamemnon doit-il sacrifier Iphigénie ? Cette question résume l’argument des pièces d’Euripide et de
Racine, et tel est précisément l’unique sujet de suasoire mythologique proposé par Sénèque le Rhéteur dans le recueil des Sentences, divisions et couleurs des orateurs et des rhéteurs, publié en 39, et souvent réédité du XVe au XVIIe siècle1. Sans donner d’exemple achevé, Sénèque a rassemblé en fagots plusieurs arguments de dissuasion imaginés par des rhéteurs qu’il avait connus ; il ne s’agissait pour eux que de faire apprécier leur talent dans l’inventio des sentences et des couleurs (apparences ou prétextes), et dans la dispositio d’arguments dont la force persuasive dépendait de l’enchaînement. Cette circonstance …afficher plus de contenu…
Il faudrait apporter des preuves éclatantes du changement moral de son père pour l’en persuader. L’interrogation rhétorique est une fois encore associée à l’expolition (Agamemnon a dû souffrir le premier de cette décision) pour exprimer fortement l’opinion défendue par Iphigénie. Malgré la révélation d’Arcas, malgré la fureur de
Clytemnestre et la colère d’Achille, la jeune fille affiche un maintien sublime par la tranquillité de son âme. Or cette stabilité des sentiments se traduit par une fidélité sereine et inattendue envers l’ordre vraisemblable. Tandis que pour une mère et un amant, la résolution d’Agamemnon indique suffisamment que la chaîne logique est brisée, elle n’est pas le signe pour Iphigénie d’un bouleversement complet