Jacques le fataliste
Œuvre étudiée: un extrait de Jacques le Fataliste, de Denis Diderot, 1796:
Jacques et son maître cheminent au gré des rencontres qui s'offrent à eux. Le valet est sommé par son maître de faire le récit de ses amours mais il se voit toujours contraint de différer sa narration.
Les deux hommes ont fait la connaissance du marquis des Arcis et de son compagnon de voyage. Une promenade s'est engagée qui permettra de développer de nouveaux échanges.
Nos quatre voyageurs allèrent de compagnie, s'entretenant de la pluie, du beau temps, de l'hôtesse, de l'hôte, de la querelle du marquis des Arcis au sujet de Nicole. Cette chienne affamée et malpropre venait sans cesse s'essuyer à ses bas ; après l'avoir inutilement chassée plusieurs fois avec sa
5 serviette, d'impatience il lui avait détaché un assez violent coup de pied … Et voilà tout de suite la conversation tournée sur cet attachement singulier des femmes pour les animaux. Chacun en dit son avis. Le maître de Jacques, s'adressant à Jacques, lui dit: «Et toi, Jacques, qu'en penses-tu ?» Jacques demanda à son maître s'il n'avait pas remarqué que, quelle que
10 fût la misère des petites gens, n'ayant pas de pain pour eux, ils avaient tous des chiens ; s'il n'avait pas remarqué que ces chiens, étant tous instruits à faire des tours, à marcher à deux pattes, à danser, à rapporter, à sauter pour le roi, pour la reine, à faire le mort, cette éducation les avait rendus les plus malheureuses bêtes du monde. D'où il conclut que tout homme voulait commander à un
15 autre, et que l'animal se trouvant dans la société immédiatement au-dessous de la classe des derniers citoyens commandés par toutes les autres classes, ils prenaient un animal pour commander aussi à quelqu'un. «Eh bien ! dit Jacques, chacun a son chien. Le ministre est le chien du roi; le premier commis est le chien du ministre; la femme est le chien du mari, ou le mari le chien