Jacques le fataliste
L’incipit de Jacques le fataliste surprend lui aussi le lecteur pour des raisons diverses. La disposition d’une partie du texte fait penser à une pièce de théâtre : les noms des personnages précèdent leurs paroles qui ne sont donc pas intégrées dans le récit comme il est d’usage dans un roman. Quant à ces personnages, nous n’en saurons que bien peu : l’un s’appelle Jacques, l’autre est son maître mais le narrateur refuse de nous en dire davantage. C’est une autre particularité de cet incipit.
Le narrateur-auteur ne cesse d’intervenir non seulement pour commenter l’action mais surtout pour commenter l’écriture d’un roman en train de s’écrire et pour décourager les attentes du lecteur auquel il s’adresse directement. Si on reprend ce que tout lecteur est en droit d’attendre d’un début de roman, on ne peut que constater qu’il restera sur sa faim. Le nom des personnages ? « Que vous importe ? » Pourquoi sont-ils ensemble ? « Par hasard ». Où vont-ils ? « Est-ce que l'on sait où l'on va ? », « Qu'est-ce que cela vous fait ? ». Le contenu du passage est pour le moins déconcertant, l’accent étant mis par le narrateur sur les paroles des protagonistes alors qu’ils évoquent d’une manière très générale le destin, paroles qui renvoient au titre du roman Jacques le fataliste, paroles qui semblent annoncer le récit des amours de Jacques mais on n’en saura rien : ce récit est simplement évoqué : « Jacques commença l'histoire de ses amours. C'était l'après-dînée : il faisait un temps lourd ; son maître s'endormit. » Puis le narrateur reprenant la parole imagine plusieurs hypothèses à la suite de son récit, finalement abandonnées. Cet incipit qui ne nous apprend donc rien des personnages, du cadre spatio-temporel et de l’intrigue est donc le plus déroutant des quatre En tant qu’Ecrivain et philosophe, Diderot interroge les codes du roman de l’intérieur, de la fiction (les questions qu’il pose au début