Jacques prevert, etranges etrangers
Texte étudié :
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel hommes des pays loin cobayes des colonies
Doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle embauchés débauchés manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone pêcheurs des Baléares ou bien du Finisterre rescapés de Franco et déportés de France et de Navarre pour avoir défendu en souvenir de la vôtre la liberté des autres
Esclaves noirs de Fréjus tiraillés et parqués au bord d’une petite mer où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus qui évoquez chaque soir dans les locaux disciplinaires avec une vieille boîte à cigares et quelques bouts de fil de fer tous les échos de vos villages tous les oiseaux de vos forêts et ne venez dans la capitale que pour fêter au pas cadencé la prise de la Bastille le quatorze juillet
Enfants du Sénégal dépatriés expatriés et naturalisés
Enfants indochinois jongleurs aux innocents couteaux qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés de jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés qui dormez aujourd’hui de retour au pays le visage dans la terre et des bombes incendiaires labourant vos rizières On vous a renvoyé la monnaie de vos papiers dorés on vous a retourné vos petits couteaux dans le dos Étranges étrangers
Vous êtes de la ville vous êtes de sa vie même si mal en vivez même si vous en mourez.
Jacques PRÉVERT Grand bal du printemps
(La Guilde du Livre,1951 ; Éditions Gallimard,1976 )
Commentaire :
Introduction :
La dénonciation des guerres et de la pauvreté ainsi que le parti pris contre les différentes