Jean de la bruyère, « de la société et de la conversation », arrias (article 9) les caractères.
Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi, c’est un homme universel, et il se donne pour tel ; il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose : on parle à la table d’un Grand d’une cour du Nord, il prend la parole, et l’ôte à ceux qui allaient dire ce qu’ils en savent ; il
5 s’oriente dans cette région lointaine comme s’il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées, il les trouve plaisantes et il en rit le premier jusqu’à éclater : quelqu’un se hasarde de le contredire et lui prouve nettement qu’il dit des choses qui ne sont pas vraies ; Arrias ne se trouble point,
10 prend feu (1) au contraire contre l’interrupteur ; je n’avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d’original : je l’ai appris de Sethon ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j’ai fort interrogé, et qui ne m’a caché aucune circonstance ; il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu’il ne l’avait commencée,
15 lorsque l’un des conviés lui dit, c’est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade.
Jean de La Bruyère, « De la Société et de la Conversation », Arrias (article 9) Les Caractères.
1) Prendre feu :