Jeanne, fille du Roy
Chapitre 30
Un sifflement familier perce le silence. Jeanne laisse tomber le panier de fèves qu’elle ramassait et s’élance vers la rivière. Son cœur bat et comme autrefois, elle le presse à deux mains. Un canot s’avance, et un bras amical agite un aviron. Une voix de stentor ébranle les échos.
Hé! Rouville, j’ai des nouvelles.
D’une manœuvre habile, le voyageur arrête son embarcation près de la berge. Il a une magnifique barbe rousse, et Jeanne reconnaît le trappeur Charron, son ancien professeur d’aviron.
Bonjour Monsieur. Mon mari n’est pas ici. Il a passé l’été à Katarakoui. Mais vous êtes le bienvenu.
Salut, ma petite dame. Rouville n’est pas là? C’est bien embêtant. Il risque d’avoir ce qu’il appellerait des «malentendus» s’il ne va pas à Ville-Marie au plus tôt.
4- Pendant que son hôtesse lui sert un repas de viande froide et de tarte aux framboises, Charron explique la situation. Frontenac vient de lancer un édit obligeant tous les trappeurs à obtenir des permis pour la traite des fourrures. Le gouverneur craint la contrebande et les échanges illégaux. Il cherche à protéger ses intérêts et ceux de la France, sinon ceux des colons.
Perrot, le gouverneur de Montréal, doit envoyer la liste des demandes à Québec d’ici la fin du mois. Si Rouville ne signe pas, il perdra tous ses droits. Et comme Perrot et lui ont eu souvent des … «malentendus» au sujet des petits commerces frauduleux du gouverneur avec les Indiens… eh bien! Celui-ci va voir une bonne occasion d’exercer sa rancune.
Jeanne est atterrée. Elle sait que malgré ses résolutions de cultiver la terre, Simon est avant tout un homme des bois. Et d’ailleurs, après son absence forcée de l’été, seul un autre hiver à recueillir des fourrures pourra lui permettre d’amasser quelque argent.
Pendant une heure, elle questionne son visiteur loquace. Le ventre plein, flatté de cette attention à ses moindres paroles, le bonhomme fournit à son interlocutrice tous les renseignements