Nous avons vu que la conscience habituelle, que nous appelons vigilance est dominée par l’objet. La vigilance est ek-statique. Il est donc tout à fait normal que notre besoin de contentement se reporte sur les objets, car nous pensons qu’ils sont la condition d’un contentement véritable. De là suit que nous avons tendance à identifier le bonheur au plaisir. Pour la même raison - et dans la foulée - nous identifions le bonheur à la satisfaction des désirs. Une fois ces croyances inconscientes installées, elles produisent et reproduisent toutes sortes de fantasmes. Il ne saurait y avoir de plus grand bonheur que de vivre sous l’arbre qui exauce tous les désirs ou d’entrer en possession de la lampe d’Aladin, pour avoir un génie à sa disposition ! Mais notre vie réelle est bien différente, il nous faut lutter lutter durement pour "obtenir" le bonheur, ou bien, en cas d’échec, nous résoudre à nous ménager quelques compensations, sans pour autant abandonner sa poursuite. Dans ces conditions, la vie, ce n’est pas la joie ! C’est une lutte constante, des déceptions sans nombre émaillées de quelques rencontres heureuses, très volatiles, il est vrai. L’univers ne consent que très peu à coïncider avec nos désirs. Nos joies sont rares et éphémères, nos souffrances plus fréquentes et continues. C'est ce que dit Schopenhauer. C’est ce qui explique la nostalgie de l’enfance chez les écrivains. Enfant, nous savions très bien ce qu’est la joie, enfant nous éprouvions une joie d’être sans autre cause que nous-mêmes. Mais il nous semble impossible de la retrouver. D’ailleurs l’idée même d’une joie sans condition est incompatible avec notre conscience habituelle. Si nous la rencontrons, c’est pour la rejeter avec une pointe de cynisme ou de mépris : « c’est le bonheur de l’imbécile heureux ! ». ; ce qui veut dire : "Je préfère ma souffrance... plutôt qu’un bonheur à la Forrest Gump !" Revenons donc sur cette question. Peut-il y avoir une joie sans condition?