Juge et la loi
« Serviteur de la loi, censeur des décrets ». La formule célèbre par laquelle le Professeur R. Chapus a défini, en 1966, la fonction juridictionnelle du Conseil d’Etat n’illustre plus qu’imparfaitement aujourd’hui la relation subtile du juge administratif à la loi, alors même que le contexte juridique dans lequel elle a été énoncée n’a guère évolué.
Serviteur de la loi, le juge administratif l’est à un double titre. D’une part, il l’est nécessairement parce que c’est d’elle qu’il détient toujours, au moins formellement, le pouvoir de juger l’administration et à travers l’Exécutif. D’autre part, il l’est mécaniquement parce que c’est d’elle qu’il tire essentiellement, malgré son relatif déclin, les normes qui lui permettent d’exercer son office. Autrement dit, la loi constitue, à la fois, le fondement, la mesure et la limite de la juridiction du juge administratif. La consécration implicite de cette dernière par la Constitution ne change rien à cet état des choses. Elle ne le dispense pas d’appliquer la loi ni ne lui confère un titre quelconque à la contrôler. Serviteur de la loi, le juge administratif n’en a pas moins su toujours marquer vis-à-vis d’elle quelque distance, que ce soit en l’interprétant ou que ce soit en en faisant une application sélective, n’hésitant pas, alors, à se référer, pour juger l’administration, à d’autres normes, édictées par d’autres sources formelles ou par lui. Mais en cas de contradiction directe entre normes législatives et ces autres normes, refusant de s’ériger en censeur de la loi, il lui a longtemps laissé le dernier mot. Ce n’est que récemment, parce qu’il estime y être implicitement habilité par une disposition particulière de la Constitution que, dans un cas précis, il accepte aujourd’hui de la contrôler.
Si bien qu’aujourd’hui, si le juge administratif demeure toujours le serviteur attitré de la loi, il apparaît aussi comme son censeur occasionnel.