Juridiciarisation de la société
La justice, le droit tiennent une place croissante dans la régulation des rapports sociaux en France. On parle de « juridiciarisation de la société », dans le sens où entamer un litige, faire valoir des prétentions, ou plus généralement affirmer ses droits devient de plus en plus fréquent. Il semble qu’à circonstances égales, on vienne maintenant plus souvent devant les tribunaux qu’il y a vingt ou trente ans. C’est souvent l’innovation qui présente plus particulièrement un risque susceptible de déclencher une action en justice. Avant de continuer cette étude, il est important de définir ce qu’est la juridiciarisation d’une société. Il ne s’agit plus seulement de considérer le droit comme constituant le lien social ordinaire. La société se caractérise par un appel au juge comme un recours nécessaire à la régulation des rapports humains. Le procès devient un moyen habituel non seulement d'obtenir la reconnaissance de son droit, mais de le faire mettre en application par une intervention de l'Etat, dont le juge n'est qu'une émanation. La société judiciarisée, c'est le triomphe des robins : les malheurs des hommes doivent être reconnus par des jugements de tribunaux qui auront à trouver un ou plusieurs responsables des dommages subis. Si le ciel m'est tombé sur la tête, il y a certainement quelqu'un, sur terre, qui en est responsable.
Le phénomène de judiciarisation marque l’émergence d’une nouvelle figure du citoyen, qui se perçoit avant tout comme un consommateur, et qui, comme tel, se considère en droit d’attendre, de l’Etat, et plus largement, de toutes les autorités sociales (administrations, médecins, chefs d’entreprise, enseignants) une prestation sans risque et sans défauts. Mais ce phénomène reflète aussi d’autres mutations, comme le fait que le juge apparaît désormais comme un substitut à une sociabilité en voie d’étiolement, et à une représentation politique ressentie comme ne remplissant plus son rôle traditionnel