Jurji Zaydan - Texte
Département'Etudes'arabes','Inalco'
'
'
L’occidentalisation-des-usages-à-Beyrouth-d’après-les-souvenirs-de-Jurji-Zaydan-
2015,2016' '
3,4'novembre' '
-
Le-texte'
5'
10'
15'
20'
25'
30'
35'
40'
Au bout d’un peu plus d’un an de travail à l’auberge, ma mère craignit que, la situation se prolongeant, mon avenir n’en souffrît. Elle détestait les auberges. Depuis que mon père m’avait demandé de venir l’aider, elle insistait auprès de lui pour que ce ne fût que provisoire, et il lui en faisait la promesse. Quand une année se fut écoulée, elle le pressa de me sortir de l’auberge et de me renvoyer à l’école. « Ses études sont désormais terminées, répondit-il. Il n’a pas besoin de plus, à moins que tu ne veuilles en faire un écrivain ou un professeur. Et puis trop d’instruction le transformerait en un dandy occidentalisé qui ne mange qu’avec un couteau et une fourchette. Peut-être même irait-il jusqu’à porter le costume européen ! ». Il faut dire que ce dernier était rare à l’époque. Seuls le portaient en Syrie ceux qui occupaient des emplois importants, dans les consulats par exemple. Quant au couteau et à la fourchette, on les rangeait encore parmi les usages réservés à quelques élégants se piquant d’occidentalisation. Mon père ne disait pas cela par aversion pour la civilisation (almadaniyya) mais parce qu’il avait à cœur de conserver les habitudes orientales et qu’il détestait l’artifice et ce qui affectait une apparence d’occidentalisation. Ma mère acquiesça à cette réponse mais n’en souhaitait pas moins que je change de métier. « Place-le ailleurs, insista-t-elle. Son activité actuelle ne me convient pas du tout. Il y a l’odeur du gras, et cet enfermement de jour comme de nuit, sans fête ni dimanche ». Mon père se rangea à ses objections. Après réflexion, ils décidèrent de me faire appendre la cordonnerie selon les techniques occidentales, ce qui était une nouveauté à Beyrouth. Ce qui orienta leur choix, c’est que Jirjis al-Shuwayrî et son frère