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Texte : Celui qui n’a jamais vu la mer Il s’appelait Daniel, mais il aurait bien aimé s’appeler Sindbad, parce que qu’il avait lu ses aventures dans un gros livre relié en rouge qu’il portait toujours avec lui, en classe et dans le dortoir. En fait, je crois qu’il n’avait jamais lu que ce livre-là. Il n’en parlait pas, sauf quelques fois quand on le lui demandait. Alors ses yeux noirs brillaient plus fort, et son visage en lame de couteau semblait s’animer tout à coup. Mais c’était un garçon qui ne parlait pas beaucoup. Il ne se mêlait pas aux conversations des autres, sauf quand il était question de la mer, ou de voyages. Les choses de la terre l’ennuyaient, les magasins, les voitures, la musique, les films et naturellement les cours du Lycée. Il restait sur place, assis sur un banc, ou bien sur les marches de l’escalier, devant le préau, à regarder dans le vide. C’était un élève médiocre, qui réunissait chaque trimestre juste ce qu’il fallait de points pour subsister. Il était très pauvre, son père avait une petite exploitation agricole à quelques kilomètres de la ville, et Daniel était habillé du tablier gris des pensionnaires, parce que sa famille habitait trop loin pour qu’il puisse rentrer chez lui chaque soir. C’est au début de l’hiver qu’il est parti. Quand les pensionnaires se sont réveillés, dans le grand dortoir gris, il avait disparu, on s’est aperçu tout de suite. Alors on a dit seulement : « Tiens ! Daniel est parti ! » Sans être vraiment étonnés parce qu’on savait tout de même un peu que cela arriverait. Les professeurs et les surveillants répétaient qu’il y avait comme cela, chaque année des dizaines de milliers de personnes qui disparaissent sans laisser de traces, en haussant les épaules, comme si c’était la chose la plus