Kals
La première des résistances est dire « Non ». En cela, la parole précède toute prise d’arme. Elle doit aussi accompagner le combat pour qu’il ne sombre pas dans la bestialité et préserve la dignité. Des poètes ont pris les armes mais n’ont pas oublié les mots. Chacun trouvera, dans les textes suivants, de quoi offrir à ses élèves un réseau autour des Chemins de la Mémoire.
Eugène Guillevic
Bretagne
Il y a beaucoup de vaisselle,
Des morceaux blancs sur le bois cassé,
Des morceaux de bol, des morceaux d'assiette
Et quelques dents de mon enfant
Sur un morceau de bol blanc
Mon mari aussi a fini
Vers la prairie, les bras levés,
Il est parti, il a fini
Il y a tant de morceaux blancs,
De la vaisselle, de la cervelle
Et quelques dents de mon enfant;
Il y a beaucoup de bols blancs,
Des yeux, des poings, des hurlements,
Beaucoup de rire et tant de sang
Qui ont quitté les innocents.
Yvan Goll
La Grande Misère de France
Nous n'irons plus au bois ma belle
Les lauriers sont coupés les ponts
Aussi : les arcs-en-ciel
Et même le pont d'Avignon
Jeanne d'Arc mortelle statue
Un peu de bronze ensanglanté
Dans cette France qui s'est tue
Ton coeur a cessé de chanter
Jeanne dans sa jupe de bure
Assise sous les framboisiers
Se prépare une confiture
Avec du sang de cuirassiers
La poule noire des nuages
Pond les oeufs pourris de la mort
Les coqs éplumés des villages
N'annoncent que les vents du Nord
Car l'aube avait du plomb dans l'aile
Et le soleil est un obus
Qui fait sauter les citadelles
Et les lilas sur les talus
Le ciel de France est noirci d'aigles
De lémures et de corbeaux
Ses soldats couchés dans les seigles
Ignorent qu'ils sont des héros
Ni Chartres, ni Rouen, ni Bruges
N'ont assez d'anges dans leurs tours
Pour lutter contre le déluge
Et les escadres de vautours
Taureau chassé des pâturages
Et du silence paternel
Devant la pourpre de l'outrage
Perd tout son sang au grand