Kant
« Plus une raison cultivée s'occupe de poursuivre la jouissance de la vie et du bonheur, plus l'homme s'éloigne du vrai contentement. Voilà pourquoi chez beaucoup, et chez ceux-là mêmes qui ont fait de l'usage de la raison la plus grande expérience, il se produit, pourvu qu'ils soient assez sincères pour l'avouer, un certain degré de misologie, c'est-à-dire de haine de la raison. En effet, après avoir fait le compte de tous les avantages qu’ils retirent, je ne dis pas de la découverte de tous les arts qui constituent le luxe ordinaire, mais même des sciences (...), ils trouvent qu’en réalité ils se sont imposé plus de peine qu’ils n’ont recueilli de bonheur ; aussi, à l’égard de cette catégorie plus commune d’hommes qui se laissent conduire de plus près par le simple instinct naturel et qui n’accordent à leur raison que peu d’influence sur leur conduite, éprouvent-ils finalement plus d’envie que de dédain. »Platon a analysé dès l'Antiquité le sens et la genèse de la misologie, dans le Phédon[1]. Dans ce dialogue, Socrate explique à ses interlocuteurs que la « misologie », ou haine de la raison, a des origines semblables à celles de la « misanthropie », ou haine des hommes. Toutes deux viennent, en effet, d'un excès de confiance accordé à des personnes (pour la première) ou à des raisonnements (pour la seconde), sans les connaître ou les avoir examinés suffisamment. Par suite, après avoir fait plusieurs fois l'expérience qui consiste à se rendre compte que des personnes en qui l'on avait confiance n'étaient en réalité pas fiables, « on finit, à force de