Kelly
Mais Socrate ne perd pas de vue ce qui fait l'objet de son discours : montrer, contre Lysias, que l'amour peut conduire au meilleur. Le long détour qui porte sur l'âme et son rapport au monde intelligible n'est pas une digression. C'est lui qui va permettre de montrer que l'amour, au même titre que l'art divinatoire, l'art de la purification et l'art poétique, est une forme de folie, la folie qui s'empare de l'âme quand elle est possédée par les dieux. Socrate place d'emblée l'amour dans la dimension du sacré. L'amour est mystère et révélation, il est de l'ordre de l'initiation, une initiation qui, on va le voir, demande une mutation de tout l'être.
Le véritable amour est l'émotion qui s'empare de celui qui, à travers un beau visage ou un beau corps, entrevoit l'idée même de la beauté, et n'a de cesse de s'en approcher au plus près. Là encore c'est la réminiscence qui est la clé de cette explication. L'Idée de la Beauté que l'âme a contemplée dans toute sa splendeur et son rayonnement dans une autre vie se révèle soudain à nos yeux. La Beauté a ce privilège en effet de pouvoir être aperçue par les yeux du corps, alors que la pensée elle ne peut être perçue par la vue : « Seule la beauté a reçu pour lot le pouvoir d'être ce qui se manifeste avec le plus d'éclat et suscite le plus d'amour » (250d). Avec l'amour du beau s'ouvre donc à l'âme une voie d'accès au monde intelligible qui se distingue de la voie de la connaissance. La marche réglée vers l'Idée qui consiste toujours à s'élever plus haut depuis le monde physique jusqu'aux idées, aux essences, et à la contemplation du Bien, n'est pas seulement une aventure intellectuelle, elle se double d'une expérience affective qui opère une mutation de tout l'être. Cette expérience qui est celle de l'amour doit nous révéler cet autre monde qui constitue le propre du discours philosophique. L'amour est connaissance. Cette façon de poser le problème montre à quel point la philosophie