Kevin
LE MAÎTRE. - Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n'est pas chrétien.
JACQUES. - C'est que, tandis que je m'enivre de son mauvais vin, j'oublie de mener nos chevaux à
l'abreuvoir. Mon père s'en aperçoit ; il se fâche. Je hoche de la tête ; il prend un bâton et m'en frotte un peu
durement les épaules. Un régiment passait pour aller au camp devant Fontenoy ; de dépit je m'enrôle. Nous arrivons
; la bataille se donne...
LE MAÎTRE. - Et tu reçois la balle à ton adresse.
JACQUES. - Vous l'avez deviné ; un coup de feu au genou ; et Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures
amenées par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chaînons d'une gourmette. Sans ce coup de
feu, par exemple, je crois que je n'aurais été amoureux de ma vie, ni boiteux.
LE MAÎTRE. - Tu as donc été amoureux ?
JACQUES. – Si je l’ai été !
LE MAÎTRE. - Et cela par un coup de feu ?
JACQUES. - Par un coup de feu.
LE MAÎTRE. - Tu ne m'en as jamais dit un mot.
JACQUES. - Je le crois bien.
LE MAÎTRE. - Et pourquoi cela ?
JACQUES. - C'est que cela ne pouvait être dit ni plus tôt ni plus tard.
LE MAÎTRE. - Et le moment d'apprendre ces amours est-il venu ?
JACQUES. - Qui le sait ?
LE MAÎTRE. - À tout hasard, commence toujours... »
Jacques commença l'histoire de ses amours. C'était l'après-dînée : il faisait un temps lourd ; son maître
s'endormit. La nuit les surprit au milieu des champs ; les voilà fourvoyés. Voilà le maître dans une colère terrible et
tombant à grands coups de fouet sur son valet, et le pauvre diable disant à chaque coup : «Celui-là était
apparemment encore écrit là-haut... »
Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin,