La chasse à la morille est pour le moins tactique : ce premier champignon de l’année ne se laisse pas cueillir comme ça, sans faire baver celui qui la convoite. Alors quand un quidam découvre un "coin à morilles", lui faire cracher le morceau relève du défi. J’en ai moi-même fait l’expérience quand j’ai assisté, un temps, un petit producteur de légumes sur les marchés tourangeaux. Ce maraîcher aimait garnir son stand de champignons – notamment de morilles – qu’il allait régulièrement chercher au petit matin en usant de stratagèmes dignes d’un héros de John Le Carré pour ne pas risquer de dévoiler son filon. Une mécanique bien rodée jusqu’à ce que son permis de conduire lui soit retiré. LA tuile. Juste à la saison la plus propice, celle où les chalands commencent à se lasser des choux, carottes, poireaux et potirons. Bref, sans permis, le brave homme s’est retrouvé le bec dans l’eau. Renoncer à ses champignons l’aurait contraint à tourner le dos à une source de revenus bienvenue pour la petite exploitation. D’un autre côté, demander de l’aide l’aurait risqué à ébruiter son secret, avec des conséquences potentiellement dramatiques à ses yeux (l’homme est un tragédien).
Cruel dilemme. Le bonhomme a tenu bon, pendant un mois. Finalement, à l’issue d’un marché particulièrement médiocre, l’homme a fini par me demander, la mort dans l’âme, de l’emmener chasser le champignon. Il avait les yeux rivés sur sa tasse de café, qu’il touillait frénétiquement. Il ne les a relevés que pour me faire jurer-cracher de garder le secret, non sans avoir tenté la carte du chantage à coup de "je ne pourrai pas te garder si je n’ai pas confiance". J’ai levé la main et promis le silence, troublée par tant de solennité.
Nous sommes partis le lendemain matin. Arrivés à proximité de son coin, une fois que nous eûmes quitté les routes pour les petits chemins de terre, il me fit arrêter la voiture, prit le volant et me contraint à fermer les yeux jusqu’à ce que nous arrivions à l’endroit