La beauté
André Durand présente
‘’La Beauté’’
sonnet de Charles BAUDELAIRE
dans
‘’Les fleurs du mal’’
(1857)
Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre, Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Éternel et muet ainsi que Ia matière.
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ; J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes ; Je hais le mouvement qui déplace les lignes, Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes, Que j'ai I'air d'emprunter aux plus fiers monuments, Consumeront leurs jours en d'austères études ;
Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants, De purs miroirs qui font toutes choses plus belles : Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles.
Commentaire
Dans son effort pour s'arracher à ce qu'il appelait le spleen, et se purifier dans I'air supérieur de l'idéal, Baudelaire représente ici, par une statue impassible, symbole de pureté et de noblesse, la perfection de la beauté idéale, transfiguration du réel et tourment de I'artiste.
Le sonnet parut le 20 avril 1857, dans ‘’La revue française’’. Mais la datation de sa composition pose un problème, et influe sur le sens qu’on lui donne.
En effet, pour certains spécialistes, il aurait été écrit entre 1843 et 1847, à une époque où Baudelaire et certains de ses contemporains avec lui se voulaient des néo-païens, exaltaient la sereine beauté de l’art antique (ainsi Banville et Leconte de Lisle publièrent chacun, le premier en 1842, le second en 1846, un poème consacré à la Vénus de Milo).
Mais d’autres spécialistes voient des rapprochements possibles entre des vers de ‘’La Beauté’’ et des phrases trouvées chez Edgar Poe. De ce fait, ils situent la composition du sonnet après 1852, à une époque où Baudelaire répondait aussi à l’influence de Théophile Gautier, insistait sur la sérénité harmonieuse de