la bohemienne de hugo
Traiter de la bohémienne et non des bohémiens de Hugo ne relève pas d’un parti pris furieusement féministe. À l’évidence, la bohémienne du XIXe siècle est bien autre chose que la femme du bohémien (comme l’a clairement établi le colloque que le CRRR de Clermont-Ferrand lui a consacré en mars dernier et dont la présente communication est issue). La bohémienne occupe une place à part dans l’imaginaire romantique : mélange unique d’altérité, d’errance et de féminité, elle renvoie à de multiples mythes, entre autres celui d’Isis, dont le sistre trouve un écho dans son tambour de basque. La bohémienne, d’ailleurs, apparaît seule le plus souvent, ou bien sa silhouette s’enlève vigoureusement sur l’esquisse d’une troupe de bohémiens ; Esmeralda en est le meilleur exemple.
Ce n’est pas d’elle, pourtant, que je partirai, mais d’une lettre que Hugo adresse à son ami Louis Boulanger pendant son voyage sur le Rhin en 1840 ; il y évoque les bohémiennes qu’il lui arrive de croiser sur son chemin (et les éditeurs modernes désignent ce texte sous le titre « [Les Bohémiennes] »1). Mais, dès la seconde phrase, il passe au singulier, s’intéressant au type et non plus aux personnes rencontrées :
Hélas, mon cher Louis, dans ce siècle où tous les précédents siècles s’écroulent, […] où toutes les anciennes figures caractéristiques qui marquaient le passé à leur effigie s’effacent et deviennent inintelligibles comme des monnaies fatiguées, […] la bohémienne aussi tombe en ruine. Elle a un chapeau de paille, une robe d’indienne rose, une écharpe de barège bleu-ciel, des manches à gigots, des souliers-cothurnes, et elle est suivie d’une façon de clerc d’avoué portant sa guitare.
Mais il ne résiste pas au plaisir de ressusciter l’icône du passé et poursuit dans une antiphrase :
Il faut que nous renoncions à l’ancienne bohémienne, bien plus jolie et bien plus jeune que celle-ci, à la danseuse court-vêtue, cuirassée de clinquant, coiffée, comme il