La carte du tendre
La littérature précieuse et son langage raffiné ont avant tout pour objet de dépeindre le sentiment amoureux. L'amour est en effet au centre des conversations dans les salons et les cercles précieux. On se demande comment le définir et quelle doit être sa place dans la vie. Les précieuses ont de l'amour une conception romanesque, forgée par les utopies littéraires telles que L'Astrée ou Clélie. Ces romans dépeignent un sentiment idéal et épuré qui ne laisse pas de place à l'instinct. A. Adam explique que les précieuses éprouvent « une sorte de dégoût pour les formes ordinaires de l'amour, fussent-elles les plus légitimes. Elles rêvent d'un sentiment plus pur, d'une amitié où les ferveurs subsisteraient sans la grossièreté du désir. » (« Baroque et préciosité » in Revue des Sciences humaines, 1949). Les codes de l'amour précieux, héritier de l'amour courtois du Moyen Âge, sont précis. Dans son roman Clélie, Histoire romaine (1654), Mlle de Scudéry imagine même une topographie de l'amour : la carte du pays de Tendre. Il s'agit d'une représentation topographique et allégorique des différentes étapes de la vie amoureuse selon les précieuses. Le pays de Tendre est traversé par le fleuve Inclination. On y rencontre des villes telles que Tendre-sur-Estime et des villages aux noms évocateurs de Billet-galant ou Billet-Doux. L'amant doit en effet passer par de nombreuses étapes amoureuses et ne pas faire de faux pas pour espérer conquérir le cœur de sa dame. Les précieuses veulent spiritualiser l'amour, le dégager de la nature et des aspects sensuels pour le transformer en une pure inclination de l'esprit. Saint-Evremont condamne comme chimérique la philosophie précieuse de l'amour : « L'amour est encore un dieu pour les précieuses. Il n'excite point de passion dans leurs âmes ; il y forme une espèce de religion... Elles ont tiré une passion toute sensible du cœur à l'esprit et converti des mouvements en idées. » (Le Cercle) C'est aussi pour ce