La censure au 18 ème siècle
Correspondance générale d'Hélvetius
300. Jean-Omer Joly de Fleury à Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes
Paris, ce 6 aoust 1758
Il n'est pas, Monsieur, qu'il ne vous soit revenu comme à moy que le nouveau traité De l'Esprit cause dans le public une sensation des plus grandes. Je ne l'ay pas lû, ainsi je ne suis pas à portée d'en juger par moy-même, mais on dit tout haut que ce livre attaque ouvertement la religion et sa morale. Je vais l'examiner et en raisonner avec des personnes en etat d'en juger. Ne jugeriés-vous pas convenable, Monsieur, d'après ce premier jugement du public qui ne se trompe guerres sur des choses qui interessent autant le bien general de la société, de faire suspendre très rigoureusement la distribution de ce livre ? Ce qui est fort singulier, c'est que j'ay vu sur le seul exemplaire que l'on m'en a montré l'approbation d'un censeur, sur la foy duquel le privilege a été accordé. Cette circonstance ne m'empesche pourtant pas d'insister auprès de vous pour arrester le livre et, comme vous aimés, Monsieur, que tout se passe dans l'ordre et y soit ramené, ne jugeriés-vous pas aussi convenable de faire passer ce livre sous les yeux de quelque theologien éclairé qui puisse juger sans partialité du merite ou des jnconvenients des principes du livre ?
J'ay l'honneur d'etre, avec les sentiments les plus jnviolables d'attachement et de respect, Monsieur,
Votre très humble et très obeissant serviteur,
Joly de Fleury, avocat général.
307. Helvétius à Madame Helvétius
[Vers le 9 août 1758]
Je t'ai donc quitté, ma chere amie. Je suis loin de l'endroit où es[t] toute ma tendresse et tout mon bonheur. Pendant la route je disois: « Ma femme se leve, ma femme est triste, ma femme lit. Le diné sonne, elle boit interieurement à ma santé. Ma femme va sur la route de Paris se promener, mais ma femme est triste parce qu'elle ne m'y trouverat pas. Ma femme enfin se retire chez elle et elle pense à moy. » Excepté