la cloche fêlée, Baudelaire
II est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,
D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s'élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.
Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente!
Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,
II arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts
Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.
La Cloche fêlée
Sonnet irrégulier : a b a b
c d c d e e f
f g g
Le titre :
La cloche
- Introduit un objet matériel et invite immédiatement le lecteur à la méfiance car souvent chez Baudelaire, les objets matériels simples acquièrent un sens symbolique.
- La cloche n’est pas assimilable à un objet quelconque de la vie quotidienne : elle a une signification religieuse. C’est un objet important dans le culte ; il représente l’appel à la prière, la célébration des fêtes, c’est le son qui réunit les fidèles, il est lié à la tradition religieuse. La cloche a une dimension spirituelle.
- La cloche a une dimension sonore, c’est un substitut de la voix et donc un moyen de communication et en même temps un instrument de musique. Cette triple dimension spirituelle, communicative et artistique va être pleinement exploitée dans le poème.
Fêlée
- Une cloche fêlée voit son timbre s’altérer ; elle peut devenir « sourde ». Une cloche donne généralement une note musicale selon son volume : do, ré, mi.
- Lorsqu’elle est fêlée une cloche donne un son dénaturé.
===> Le titre exprime donc de prime abord une crise, un moment de difficulté.
II est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,
- l’oxymoron : « …