La couronne effeuillée
Pour nous guider, ingrats ténébreux que nous sommes,
Ta flamme te dévore, et l'on peut mesurer
Combien de temps tu vas sur la terre durer.
La vie en notre nuit n'est pas inépuisable.
Quand nos mains plusieurs fois ont retourné le sable
Et remonté l'horloge, et que devant nos yeux
L'ombre et l'aurore ont pris possession des cieux
Tour à tour, et pendant un certain nombre d'heures,
Il faut finir. Prends garde, il faudra que tu meures.
Tu vas t'user trop vite et brûler nuit et jour !
Tu nous verses la paix, la clémence, l'amour,
La justice, le droit, la vérité sacrée,
Mais ta substance meurt pendant que ton feu crée.
Ne te consume pas ! Ami, songe au tombeau ! -
Calme, il répond : - Je fais mon devoir de flambeau.
COLÈRE DE LA BÊTE
I
Un âne descendait au galop la science.
-- Quel est ton nom ? dit Kant. - Mon nom est Patience,
Dit l'âne. Oui, c'est mon nom, et je l'ai mérité,
Car je viens de ce faîte où l'homme est seul monté
Et qu'il nomme savoir calcul, raison, doctrine.
Kant, porter le licou sanglé sur la poitrine ;
Avoir dès son bas âge, âpre et morne combat,
L'os de l'échine usé par la boucle du bât ;
Subir, de l'aube au soir, la secousse électrique
Du nerf de boeuf parfois relayé par la trique ;
Être, tremblant de froid ou de chaud étouffant,
Happé par la mâtin, lapidé par l'enfant,
Tomber de l'un à l'autre, et traverser l'églogue
De la pierre alternant avec le bouledogue ;
Vivre, d'un chargement effroyable bossu,
Les os trouant la peau, maigre, ayant tant reçu,
Le long de chaque côté et de chaque vertèbre,
De coups de fouet que d'âne on est devenu zèbre,
Tout cela, qui te semble assez rude, n'est rien,
Et le fouet est à peine un souffle éolien,
Et les cailloux sont doux, et la raclée est bonne
À côté de ceci : suivre un cours en Sorbonne ;
Vivre courbé six mois, peut-être un temps plus long,
Sous une chaire en