Marivaux, La Double Inconstance, acte I, scène IV (1723). [...] TRIVELIN. � Savez-vous bien que le mariage que je vous propose vous acquerra l'amitié du Prince ? ARLEQUIN. � Bon ! mon ami ne serait pas seulement mon camarade. TRIVELIN. � Mais les richesses que vous promet cette amitié... ARLEQUIN. � On n'a que faire de toutes ces babioles-là, quand on se porte bien, qu'on a bon appétit et de quoi vivre. TRIVELIN. � Vous ignorez le prix de ce que vous refusez. ARLEQUIN, d'un air négligent. � C'est à cause de cela que je n'y perds rien. TRIVELIN. � Maison à la ville, maison à la campagne. ARLEQUIN. � Ah, que cela est beau ! il n'y a qu'une chose qui m'embarrasse; qui est-ce qui habitera ma maison de ville quand je serai à ma maison de campagne ? TRIVELIN. � Parbleu ! vos valets. ARLEQUIN-. � Mes valets ? Qu'ai-je besoin de faire fortune pour ces canailles-là ? je ne pourrai donc pas les habiter toutes à la fois ? TRIVELIN, riant. � Non, que je pense; vous ne serez pas en deux endroits en même temps. ARLEQUIN. � Eh bien, innocent que vous êtes, si je n'ai pas ce secret-là, il est inutile d'avoir deux maisons. TRIVELIN. � Quand il vous plaira, vous irez de l'une à l'autre. ARLEQUIN. � A ce compte, je donnerai donc ma maîtresse pour avoir le plaisir de déménager souvent ? TRIVELIN. � Mais rien ne vous touche, vous êtes bien étrange ! Cependant tout le monde est charmé d'avoir de grands appartements, nombre de domestiques... ARLEQUIN. � Il ne me faut qu'une chambre; je n'aime point à nourrir des fainéants, et je ne trouverai point de valet plus fidèle, plus affectionné à mon service que moi. TRIVELIN. � Je conviens que vous ne serez point en danger de mettre ce domestique-là dehors; mais ne seriez-vous pas sensible au plaisir d'avoir un bon équipage, un bon carrosse, sans parler de l'agrément d'être meublé superbement ? ARLEQUIN. � Vous êtes un grand nigaud, mon ami, de faire entrer Silvia en comparaison avec des meubles, un carrosse et des chevaux qui le traînent;