La femme au collier de velours, chapitre 1 alexandre dumas père
Aujourd'hui que les bateaux à vapeur qui montent et descendent le Rhin passent à Mannheim, aujourd'hui qu'un chemin de fer conduit à Mannheim, aujourd'hui que Mannheim, au milieu du pétillement de la fusillade, a secoué, les cheveux épars et la robe teinte de sang, l'étendard de la rébellion contre son grand-duc, je ne sais plus ce qu'est Mannheim ; mais, à l'époque où commence cette histoire, c'est-à-dire il y a bientôt cinquante-six ans, je vais vous dire ce qu'elle était.
C'était la ville allemande par excellence, calme et politique à la fois, un peu triste, ou plutôt un peu rêveuse : c'était la ville des romans d'Auguste Lafontaine et des poèmes de Goethe, d'Henriette Belmann et de Werther.
En effet, il ne s'agit que de jeter un coup d'oeil sur Mannheim pour juger à l'instant, en voyant ses maisons honnêtement alignées, sa division en quatre quartiers, ses rues larges et belles où pointe l'herbe, sa fontaine mythologique, sa promenade ombragée d'un double rang d'acacias qui la traverse d'un bout à l'autre ; pour juger, dis-je, combien la vie serait douce et facile dans un semblable paradis, si parfois les passions amoureuses ou politiques n'y venaient mettre un pistolet à la main de Werther ou un poignard à la main de Sand.
Il y a surtout une place qui a un caractère tout particulier, c'est celle où s'élèvent à la fois l'église et le théâtre.
Église et théâtre ont dû être bâtis en même temps, probablement par le même architecte; probablement encore vers le milieu de l'autre siècle, quand les caprices d'une favorite influaient sur l'art à ce point que tout un côté de l'art prenait son nom, depuis l'église jusqu'à la petite maison, depuis la statue de bronze de dix coudées jusqu'à la figurine en porcelaine