La femme du monde
II. Mon nom est maudit sur la terre ; pourtant le malheur, le désespoir, l'envie qui y dominent en tyrans m'appellent souvent à leur secours.
III. Je me réjouis dans les grandes cités et je dirige mes coups sur les peuples des villes.
IV. Pourtant je vais aussi chez le laboureur, je prends ses brebis dans son étable, je prends la chèvre qui broute sur la colline, le chamois qui bondit sur le rocher aigu ; je prends l'oiseau dans son vol, et le roi sur son trône.
V. Du jour où Adam et sa compagne furent chassés du paradis, moi, la fille de Satan, je me tins depuis ce temps à la face de tous les empires, de tous les siècles, de toutes les dynasties de rois, que je brisais sous mes pieds de squelette.
VI. En vain j'ai entendu des peuples dévorés par la peste crier après la vie, en vain j'ai vu des rois qui se cramponnaient à leur couronne, en vain j'ai vu les larmes d'une mère qui me demandait son enfant ; leur prière me semblait ridicule.
VII. Et je broyais avec avidité, sous mes dents, brillante jeunesse, empire puissant, siècles pleins de gloire et d'honneur, rois, empereurs ; j'effaçais leur blason, leur gloire, et, dans mes mains décharnées, je réduisais en poudre le sceptre doré aussi facilement que la houlette du pasteur.
VIII. J'aime à m'introduire dans le lit d'une jeune fille, à creuser lentement ses joues, à lui sucer le sang, à la saisir peu à peu et à la ravir à son amant, à ses parents qui pleurent et sanglotent sur cette pauvre rose si vite fanée.
IX. Alors je me réjouis sur son front encore blanc, je contemple ses lèvres ridées par la fièvre, j'entends avec plaisir le bourdonnement des mouches qui viennent autour de sa tête, comme signes de putréfaction.
X. Et je ris avidement en voyant les vers qui rampent sur son corps.
XI. J'aime à prendre place aux banquets royaux, aux gais repas champêtres ; je m'assieds sur la pourpre, je m'étends sur l'herbe, et