La jeune veuve l.a
Recueil : I, parution en 1668.
Livre : VI.
Fable : 21, composée de 48 vers.
La perte d’un époux ne va point sans soupirs ; On fait beaucoup de bruit ; et puis on se console : Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole, Le Temps ramène les plaisirs.
5 Entre la Veuve d’une année Et la Veuve d’une journée La différence est grande ; on ne croirait jamais Que ce fût la même personne : L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits.
10 Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne C’est toujours même note et pareil entretien ; On dit qu’on est inconsolable ; On le dit, mais il n’en est rien, Comme on verra par cette fable,
15 Ou plutôt par la vérité.
L’époux d’une jeune beauté Partait pour l’autre monde. À ses côtés, sa femme Lui criait : « Attends-moi, je te suis ; et mon âme, Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler. »
20 Le mari fait seul le voyage. La belle avait un père, homme prudent et sage ; Il laissa le torrent couler. À la fin, pour la consoler : « Ma fille, lui dit-il, c’est trop versé de larmes :
25 Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ? Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts. Je ne dis pas que tout à l’heure Une condition meilleure Change en des noces ces transports (1);
30 Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose Que le défunt. – Ah ! dit-elle aussitôt, Un cloître est l’époux qu’il me faut. » Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
35 Un mois de la sorte se passe ; L’autre mois, on l’emploie à changer tous les jours Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure : Le deuil (2) enfin sert de parure, En attendant d’autres atours ;
40 Toute la bande des Amours Revient au colombier ; les jeux, les ris (3), la danse, Ont aussi leur tour à la fin : On se plonge soir et matin Dans la fontaine de Jouvence.
45 Le père ne craint plus ce