La jeunesse n'est qu'un mot de p.bourdieu
PIERRE BOURDIEU Entretien avec AnneMarie Métailié, paru dans Les jeunes et le premier emploi, Paris, Association des Ages,1978, pp. 520530. Repris in Questions de sociologie, Éditions de Minuit, 1984. Ed. 1992 pp.143-154
Q. Comment le sociologue abordetil le problème des jeunes ?
— Le réflexe professionnel du sociologue est de rappeler que les divisions entre les âges sont arbitraires. C'est le paradoxe de Pareto disant qu'on ne sait pas à quel âge commence la vieillesse, comme on ne sait pas où commence la richesse. En fait, la frontière entre jeunesse et vieillesse est dans toutes les sociétés un enjeu de lutte. Par exemple, j'ai lu il y a quelques années un article sur les rapports entre les jeunes et les notables, à Florence, au XVIème siècle, qui montrait que les vieux proposaient à la jeunesse une idéologie de la virilité, de la virtú, et de la violence, ce qui était une façon de se réserver la sagesse, c'estàdire le pouvoir. De même, Georges Duby montre bien comment, au Moyen Age, les limites de la jeunesse étaient l'objet de manipulations de la part des détenteurs du patrimoine qui devaient maintenir en état de jeunesse, c'estàdire d'irresponsabilité, les jeunes nobles pouvant prétendre à la succession. On trouverait des choses tout à fait équivalentes dans les dictons et les proverbes, ou tout simplement les stéréotypes sur la jeunesse, ou encore dans la philosophie, de Platon à Alain, qui assignait à chaque âge sa passion spécifique, à l'adolescence l'amour, à l'âge mûr l'ambition. La représentation idéologique de la division entre jeunes et vieux accorde aux plus jeunes des choses qui font qu'en contrepartie ils laissent des tas de choses aux plus vieux. On le voit très bien dans le cas du sport, par exemple dans le rugby, avec l'exaltation des « bons petits », bonnes brutes dociles vouées au dévouement obscur du jeu d'avants qu'exaltent les dirigeants et les commentateurs (« Sois fort et taistoi, ne pense