La jolie fille
Reproduite dans tous les manuels et abrégés d'histoire de l'art, punaisée aux murs des quatre coins du monde, La Jeune Fille à la perle (à laquelle une récente restauration a redonné tout son éclat)1 ne laisse pourtant pas d'intriguer et de fasciner. Elle fut achetée en 1881 pour une bouchée de pain, 2 florins et 30 centimes2 seulement par le collectionneur Arnoldus Andries Des Tombes3. Celui-ci dut sa bonne affaire au piteux état de la toile, trouée au niveau de l'œil et de la pommette gauche. Il la lèguera à sa mort au musée Mauritshuis de La Haye.
Bientôt qualifié de « Joconde du Nord », ce visage à la troublante beauté n'a pas perdu une once de son mystère en trois siècles, et continue de susciter bien des interrogations. Loin d'être méticuleusement indiqués à la manière de Frans van Mieris de Oudere et d'autres portraitistes du temps, tels que Gabriel Metsu (1629-1667), Gérard Dou (1613-1675), Gerard ter Borch (1617-1681), Jan Steen (1625-1679), Pieter de Hooch (1629-1684), les traits de la figure ne sont pas nettement définis, accentuant d'autant sa beauté. Fondue avec la joue droite, l'arête du nez est invisible.
Vermeer, par cette audacieuse astuce, efface ainsi la frontière entre la réalité et l'image, le spectateur et le tableau. Omettant de marquer la ligne du nez, de sorte que notre regard prolonge la touche du peintre pour restituer les parties du visage qui n'y sont pas, il nous fait entrer dans la toile. On ignore encore aujourd'hui si la jeune fille