la lecon ionesco
LA BONNE: Menteur! Vieux renard! Un savant comme vous ne se méprend
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pas sur le sens des mots. Faut pas me la faire
267
.
LE PROFESSEUR
(sanglote):
Je n’ai pas fait exprès de la tuer!
LA BONNE: Au moins, vous le regrettez?
LE PROFESSEUR: Oh, oui, Marie, je vous le jure!
LA BONNE: Vous me faites pitié
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, tenez! Ah! vous êtes un brave garçon quand même!
On va tâcher d’arranger ça. Mais ne recommencez pas ... Ça peut vous donner une maladie de cœur ...
LE PROFESSEUR: Oui, Marie! Qu’est-ce qu’on va faire, alors?
LA BONNE: On va l’enterrer
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... en même temps que les trente-neuf autres ... ça va faire quarante cercueils ... On va appeler les pompes funèbres
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et mon amoureux, le curé Auguste ... On va commander des couronnes
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...
LE PROFESSEUR: Oui, Marie, merci bien.
LA BONNE: Au fait. Ce n’est même pas la peine d’appeler Auguste, puisque vous- même vous êtes un peu curé à vos heures, si on en croit la rumeur publique.
LE PROFESSEUR: Pas trop chères, tout de même, les couronnes. Elle n’a pas payé sa leçon. LA BONNE: Ne vous inquiétez pas ... Couvrez-la au moins avec son tablier, elle est indécente 272
. Et puis on va l’emporter ...
LE PROFESSEUR:
Oui, Marie, oui. (Il la couvre.) On risque de se faire pincer
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...avec quarante cercueils
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... Vous vous imaginez ... Les gens seront étonnés. Si on nous demande ce qu’il y a dedans?
LA BONNE: Ne vous faites donc pas tant de soucis. On dira qu’ils sont vides.
D’ailleurs, les gens ne demanderont rien, ils sont habitués.
LE PROFESSEUR: Quand même.
LA BONNE
(Elle sort un brassard
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portant un insigne):
Tenez, si vous avez peur, mettez ceci, vous n’aurez plus rien à craindre. (Elle lui attache le brassard autour du bras.) C’est politique.
LE PROFESSEUR: Merci, ma petite Marie; comme ça, je suis tranquille ...