L’Histoire de la Méditerranée (Carpentier)

Introduction

L’expédition de Bonaparte en Egypte est, en 1798-99, un geste précurseur de l’intérêt méditerranéen. Elle annonce la grande poussée de l’Europe qui, vapeur, capitaux, libertés et missions chrétiennes aidant, réinvente une Méditerranée, objet de l’impérialisme et aliment de l’imaginaire européen de Chateaubriand à Delacroix, de Flaubert à Cézanne.

En 1815, l’Empire ottoman domine encore la plus grande partie des Balkans et la quasi-totalité des pays arabes du Machrek et du Maghreb : seul le Maroc échappe à la suzeraineté du sultan d’Istanbul. Existe-t-il une Europe méditerranéenne ? L’Espagne entre dans un siècle de convulsion, l’Italie est toujours divisée, la Grèce est dominée par les Turcs. La France n’a pas les moyens d’être une puissance méditerranéenne. Déjà l’Angleterre, puissance extérieure, contrôle la Méditerranée.
Puis l’Europe met à profit une rupture des équilibres pour s’imposer en Méditerranée. Sa croissance démographique est extraordinairement rapide, alors que la population des territoires musulmans s’accroît peu. La course n’est plus qu’un souvenir, l’Europe peut contrôler la mer et ouvrir les marchés, alors que la vapeur permet, dès le milieu du 19e siècle, de transporter rapidement et à bon compte toutes sortes de marchandises. L’ouverture du canal de Suez, entreprise française vite contrôlée par les Britanniques, est, en 1869, la date symbole de ce basculement de la Méditerranée dans l’influence européenne. Les Français sont à Alger dès 1830 ; dans le même temps, l’indépendance de la Grèce est parrainée par l’intelligentsia européenne comme par les chancelleries. Français et Anglais, souvent rivaux, finissent par s’entendre pour contenir les appétits russes vers les Détroits et la mer, pour se partager les territoires (les Anglais « occupent » l’Egypte, la France « protège » la Tunisie). L’Empire ottoman s’engage dans les réformes, à l’imitation de l’Europe, mais aussi dans les