La morale
La formule de Rimbaud, qui intervient dans une lettre du début des années 1870, n´invitait certes pas à voir dans la morale un ensemble de représentations et de valeurs dont il faille faire grand cas. Elle identifiait encore moins la morale à un objet dont le philosophe ait à se préoccuper en s´interrogeant sur ce qui la fonde ou sur ce qui la justifie. Que la morale soit une faiblesse de la cervelle, nous verrons qu´il s´est trouvé des philosophes pour être eux-mêmes bien près de le penser. Non pas, qui plus est, à propos de telle ou telle morale, qui serait moins convaincante ou moins profonde qu´une autre. C´est la morale comme telle qui a pu ainsi être mise en cause, c´est-à-dire tout un ensemble de représentations et de valeurs fixant pour les actions individuelles ou collectives des points de repère susceptibles de faire apparaître quelles actions relèvent du Bien, quelles autres procèdent du Mal. Si toute morale est une stupidité, plutôt que de s´interroger sur ce qui la fonde, il s´agirait alors de tenter d´y échapper, de s´en échapper, de s´y soustraire, voire de détruire ou du moins de déconstruire l´illusion qui nous pousse à lui accorder une quelconque importance et signification pour nous-mêmes et pour les autres.
Les mots de Rimbaud étaient délibérément provocateurs, et font songer de la part d´un adolescent (le poète avait à ce moment seize ou dix-sept ans) à une sorte de « pied de nez » adressé au monde des adultes et à ses valeurs. Il n´en demeure pas moins que des provocations de ce type, ouvrant sur une pure et simple subversion de la morale, exercèrent sur plusieurs générations une forte et durable séduction. Elles ont participé d´une dynamique de désacralisation de la morale qui s´étendit sur plus d´un siècle.
Depuis le début des années 1980, les questions de morale ou d´éthique sont en revanche redevenues fortement présentes dans le champ social. En témoignent de façon particulièrement