La mort de tchen - extrait de la condition humaine
L’auto du général était à cinq mètres, énorme. Il courut vers elle avec une joie d’extatique, se jeta dessus, les yeux fermés.
Il revint à lui quelques secondes plus tard : il n’avait ni senti ni entendu le craquement d’os qu’il attendait, il avait sombré dans un globe éblouissant. Plus de veste. De sa main droite il tenait un morceau de capot plein de boue ou de sang. A quelques mètres un amas de débris rouges, une surface de verre pilé où brillait un dernier reflet de lumière, des…déjà il ne distinguait plus rien : il prenait conscience de la douleur, qui fut en moins d’une seconde au-delà de la conscience. Il ne voyait plus clair. Il sentait pourtant que la place était encore déserte ; les policiers craignaient-ils une seconde bombe ? Il souffrait de toute sa chair, d’une souffrance pas même localisable : il n’était plus que souffrance. On s’approchait. Il se souvint qu’il devait prendre son revolver. Il tenta d’atteindre sa poche de pantalon. Plus de poche, plus de pantalon, plus de jambe : de la chair hachée. L’autre revolver, dans la poche de sa chemise. Le bouton avait sauté. Il saisit l’arme par le canon, la retourna sans savoir comment, tira d’instinct le cran d’arrêt avec son pouce. Il ouvrit enfin les yeux. Tout tournait, d’une façon lente et invincible, selon un très grand cercle, et pourtant rien n’existait que la douleur. Un policier était tout près. Tchen voulut demander si Tchang Kaï-chek était mort, mais il voulait cela dans un autre monde ; dans ce monde-ci, cette mort même lui était indifférente.
De toute sa force, le policier le retourna d’un coup de pied dans les côtes. Tchen hurla, tira en avant, au hasard, et la secousse rendit plus intense encore cette douleur qu’il croyait sans fond. Il allait s’évanouir ou mourir. Il fit le plus terrible effort de sa vie, parvint à introduire dans sa bouche le canon du révolver. Prévoyant la nouvelle secousse, plus douloureuse encore que la précédente, il ne bougeait plus. Un