La mort n'oublie personne
Et il s’agit bien là d’un travail de virtuose. Chaque roman de Daeninckx renouvelle la trame désormais fragile du roman policier. Il en déplace les mailles, serrant toujours plus fermement les nœuds qui font l’intrigue, et qui mêlent les événements intimes vécus par les personnages, au fonds politique et judiciaire d’une époque donnée.
Avec La Mort n’oublie personne tous les éléments traditionnels du genre sont détournés. Un roman noir commence par un cadavre ; nous avons dès les premières pages celui d’un jeune homme, mais il s’agit d’un suicide. Le lecteur le sait, et il rencontre dans les pages suivantes Jean, le père du jeune en question. Ignorant l’essentiel de cette mort, l’ancien résistant racontera son drame personnel à un énigmatique journaliste. La rotation des points de vue, la construction cinématographique, faite de retours, de montages cut, accentue la notion de désordre. Et ce que d’aucuns qualifieraient rapidement de livre de “ hall de gare ” devient au gré des pages une œuvre littéraire à part entière.
On le sait, les romans policiers sont réputés porteurs d’érotisme, éventuellement de pornographie. Là encore, Didier Daeninckx joue sur les modèles pour les subvertir : ce livre présente des pages d’amour faites de pudeur et de lumière.
Caché après un coup de main hasardeux par un ami résistant, le personnage principal découvre la force de l’amour avec la fille son hôte, qui lui apporte quotidiennement son repas. Le lieu est clos, poussiéreux, confiné et fade. La femme y descend comme un ange, une jeune femme qui vient lui révéler la lumière. Quand la porte couinait, vers midi, je me précipitais vers le bord du tas de suie et l’observais,