La peste
Celle, obsédante, d’un homme qui pleurait.
Ce dimanche de mai 1939, le leader indépendantiste m’avait longuement parlé de femmes et d’amour.
Je l’avais trouvé, dans sa cellule, absorbé sur un cahier d’écolier. Il n’avait levé la tête qu’à la voix gutturale de Hocine Le Skikdi : * Voilà Imeslayène, cheikh !
Hadj M. avait alors posé sur moi des yeux chargés de larmes. * Ah, Salam si Imeslayène !
Hocine Le Skikdi, embarrassé d’avoir surpris son chef dans cet instant d’émotion, s’était éclipsé et Hadj M. m’avait adressé un sourire contrit. * Assieds-toi donc.
Il s’était frotté le visage puis m’avait dit d’un ton faussement apaisé : * Imeslayène…Messali…Comme nos noms se ressemblent ! Qui sommes-nous vraiment ? Descendrais-tu, comme moi, de la branche des Mesli, qu’on dit originaires de Mossoul ? * Je descends d’une famille berbère de la Soumam ! * Ah ! Alors si tu n’es pas de Mossoul, c’est moi qui descend de la Soummam ! Cela me semble plus logique. J’ai eu cette discussion avec un de nos dirigeants, Salah Mecili, tu ne dois pas connaître. Salah Mecili, de Bou-Saâda, le fils de Lalla Zineb, qui était à la tête de la zaouïa d’El-Hamel. Un homme de fer, qui avait organisé la résistance à l’« impôt du sang » en 1912 et qui, depuis, ne cesse pas de faire de la prison. Il prétend, comme toi, qu’il descend d’un père berbère de la Soummam, mais dont il ne sait rien. C’est curieux, notre errance !
Il s’était frotté le visage de nouveau puis m’avait chuchoté : * Tu comptais voir un messie politique, un héros, un personnage de légende…
Il essuya ses yeux rougis. * …Et tu découvres un homme au regard sans défense ! Tu vois, il faut se méfier des légendes ! C’est triste à avouer, mais je n’ai pas l’étoffe d’un héros. Je vais te dire… Comment tu t’appelles, au fait ? * Yousef ! * Je vais te dire, Yousef : ce n’est pas à l’épreuve de la prison ni même de la guerre que se mesurent nos