La petite chartreuse
Le point de départ du roman de Pierre Péju est un fait divers malheureusement banal : la camionnette du libraire Vollard heurte de front une petite fille qui courait devant elle après avoir vainement attendu sa mère à la sortie de l’école.
L’accident ne pouvait être évité, mais Vollard se sent néanmoins responsable et doit vivre dès lors avec l’idée de ce drame irréparable. La fillette est hospitalisée dans un état désespéré; elle sortira de son coma, mais sans la parole.
Le personnage central du roman n’est pas elle, ni sa mère souvent absente et errant sans but sur les routes; c’est Etienne Vollard, géant massif comme la Grande Chartreuse. Pierre Péju, avec habileté, nous donne un portrait précis de cet homme solitaire et renfermé, doté d’une mémoire prodigieuse qui lui permet de mémoriser sans effort de multiples textes littéraires :
" Vollard paraissait nimbé de solitude. Un ruissellement constant sur son corps, dans ses yeux sombres, dans ses gestes, et même son sourire, car il nous souriait parfois, pas tristement ni servilement, mais lumineusement. Ce n’était pas à nous qu’il souriait, mais à quelque chose d’infiniment plus vaste. C’était un sourire de solitude… ".
Au chevet d’Eva, plongée dans le coma, Vollard, l’homme des livres, essaie de conjurer son angoisse en récitant à la fillette des textes gravés depuis toujours dans sa mémoire :
" Silence. Visage de princesse. Masque de plâtre. Des phrases retentirent alors dans la chambre. Ces phrases, c’était bien lui, Vollard qui les prononçait. Voix haute. Voix puissante, articulant clairement un texte monté d’un autrefois lointain : " On eût dit un ange tant elle était belle; elle avait seulement les yeux fermés, mais on l’entendait respirer doucement, ce qui faisait voir qu’elle n’était pas morte " …
Comme l’a expliqué Pierre Péju, il y a un lien entre être et les mots et les mots peuvent nous aider à vivre et à respirer. Ainsi un moment, on a l’impression