la petite fadette
Nohant, septembre 1848.
Et, tout en parlant de la République que nous rêvons et de celle que nous subissons, nous étions arrivés à l’endroit du chemin ombragé où le serpolet invite au repos.
— Te souviens-tu, me dit-il, que nous passions ici, il y a un an, et que nous nous y sommes arrêtés tout un soir ? Car c’est ici que tu me racontas l’histoire du Champi, et que je te conseillai de l’écrire dans le style familier dont tu t’étais servi avec moi.
— Et que j’imitais de la manière de notre Chanvreur ? Je m’en souviens, et il me semble que, depuis ce jour-là, nous avons vécu dix ans.
— Et pourtant la nature n’a pas changé, reprit mon ami : la nuit est toujours pure, les étoiles brillent toujours, le thym sauvage sent toujours bon.
— Mais les hommes ont empiré, et nous comme les autres. Les bons sont devenus faibles, les faibles poltrons, les poltrons lâches, les généreux téméraires, les sceptiques pervers, les égoïstes féroces.
— Et nous, dit-il, qu’étions-nous, et que sommes-nous devenus ?
— Nous étions tristes, nous sommes devenus malheureux, lui répondis-je.
Il me blâma de mon découragement et voulut me prouver que les révolutions ne sont point des lits de roses. Je le savais bien et ne m’en souciais guère, quant à moi ; mais il voulut aussi me prouver que l’école du malheur était bonne et développait des forces que le calme finit par engourdir. Je n’étais point de son avis dans ce moment-là ; je ne pouvais pas si aisément prendre mon parti sur les mauvais instincts, les mauvaises passions, et les mauvaises actions que les révolutions font remonter à la surface.
— Un peu de gêne et de surcroît de travail peut être fort salutaire aux gens de notre condition, lui disais-je ; mais un surcroît de misère, c’est la mort du pauvre. Et puis, mettons de côté la souffrance matérielle : il y a dans l’humanité, à l’heure qu’il est, une souffrance morale qui ne peut rien amener de bon. Le méchant souffre, et la souffrance du méchant, c’est la